April 3, 2025

Forêts en péril : ravageurs, maladies et changement climatique

Une crise silencieuse mais massive

Aujourd'hui, plus de 670 000 hectares de forêts françaises sont en état avancé de dépérissement. Ce chiffre impressionnant équivaut à la surface brûlée par tous les incendies des 35 dernières années réunis. Pourtant, les flammes ne sont pas en cause dans ce dépérissement. La dégradation actuelle est largement due à des ravageurs invisibles mais redoutables, comme les scolytes, champignons pathogènes et bactéries. Le changement climatique joue ici un rôle central, affaiblissant les arbres et accélérant les cycles biologiques de ces ennemis naturels.Cette réalité interpelle tous les acteurs de la filière forêt-bois : préserver la biodiversité et assurer la pérennité économique du secteur passe désormais par une gestion forestière durable et résiliente. Des solutions technologiques et sylvicoles innovantes apparaissent pour relever ces défis sans précédent.

Scolytes et champignons : les acteurs d’une crise sanitaire forestière


L’invasion des scolytes : un phénomène en pleine expansionLes scolytes (Scolytinae) sont de minuscules coléoptères, mesurant entre 2 et 10 mm. Parmi eux, le scolyte typographe (Ips typographus) est particulièrement redouté. Ce ravageur cible les épicéas, creusant des galeries sous l’écorce, interrompant la circulation de la sève, et entraînant la mort rapide des arbres en quelques semaines. En 2023, environ 90 000 hectares d’épicéas ont été infestés par les scolytes, principalement dans le Grand Est, la Bourgogne-Franche-Comté, mais aussi désormais en Auvergne-Rhône-Alpes et dans le Jura. De plus, des scolytes sont détectés désormais sur les épicéas d’altitude, jusqu’ici considérés comme protégés. Les symptômes sont visibles : petits trous cerclés de sciure, écorce qui se détache… mais souvent trop tard pour sauver les arbres.

Champignons pathogènes : une menace silencieuse

Le châtaignier, essentiel dans certaines régions, est quant à lui affaibli par la maladie de l’encre provoquée par Phytophthora cinnamomi. Ce champignon attaque les racines, menant rapidement au dépérissement des peuplements. Le frêne n’est pas épargné. Il subit une autre infection : la chalarose, causée par un champignon, qui décime les forêts françaises avec un taux de mortalité atteignant 1,2 million de m³ de bois par an.

Bactéries : un autre front de la santé forestière

Les bactéries sont également des agents pathogènes importants dans les forêts, bien que moins connues que les champignons et insectes. Voici quelques exemples :Chancre bactérien du marronnier : causé par Pseudomonas syringae pv. aesculi, cette maladie est multifactorielle et touche principalement les marronniers adultes. Elle se manifeste par des chancres sur l'écorce et peut tuer l'arbre en quelques mois à quelques années. Les facteurs de stress environnementaux, comme la pollution, peuvent favoriser l'infection.

Sécrétion de mucus sur les chênes : des bactéries comme Brenneria goodwinii, Gibbsiella quercinecans, et Rahnella victoriana sont associées à cette maladie, qui se caractérise par une sécrétion de mucus sombre et des fissures verticales sous l'écorce. Ces bactéries colonisent souvent des arbres déjà affaiblis, accélérant leur dépérissement.Ces maladies provoquent non seulement des pertes économiques directes (perte de valeur du bois, coûts de gestion accrus), mais aussi un déséquilibre du marché en raison de la surabondance de bois dégradé.

Changement climatique : un facteur aggravant majeur

Le réchauffement climatique favorise la prolifération de ces agents pathogènes. Des hivers doux et des printemps plus humides accélèrent le cycle de reproduction des scolytes. À l’inverse, les sécheresses estivales engendrent un stress hydrique et affaiblissent les défenses naturelles des arbres, en réduisant notamment leur production de résine, barrière naturelle contre les insectes.Concernant la maladie de l’encre, le mécanisme est similaire : ce champignon resté longtemps discret a vu son développement s’intensifier avec l’évolution du climat.Les projections annoncent une intensification des crises sanitaires. Le Phytophthora cinnamomi (champignon racinaire pouvant causer la maladie de l'encre) était auparavant limité au sud de l'Europe. Sa détection en 2023 au nord des Alpes constitue un signal d'alerte.

Des solutions pour renforcer la résilience des forêts

La monoculture forestière favorise la propagation des maladies spécifiques à une essence. À l’inverse, introduire des espèces variées permet de limiter les risques sanitaires.Le[ CNPF](https://www.cnpf.fr/), avec son outil [BioClimSol](https://www.cnpf.fr/nos-actions-nos-outils/outils-et-techniques/bioclimsol) par exemple, accompagne les propriétaires forestiers dans le choix des essences les mieux adaptées aux conditions climatiques futures et aux caractéristiques du sol.De même, le [RMT AFORCE](https://www.reseau-aforce.fr/) propose l'outil [ClimEssences](https://climessences.fr/), qui aide à sélectionner les essences forestières en fonction des conditions climatiques actuelles et futures, en utilisant des modélisations cartographiques et des fiches espèces détaillées pour guider les décisions sylvicoles.Des initiatives concrètes témoignent de l’efficacité de cette stratégie : dans la Drôme, en 2024, un projet de reboisement citoyen a permis d’introduire des essences plus résistantes comme le cèdre de l’Atlas et le pin de Salzmann.D’autres innovations, comme celles de la startup [Farm3](https://www.farmcube.eu/nos-solutions), expérimentent l’endurcissement des jeunes plants à la sécheresse via des systèmes en environnement contrôlé.

Gestion sylvicole adaptée

Une sylviculture préventive permet de renforcer la résistance naturelle des forêts. L’éclaircissage, qui réduit la densité des peuplements, facilite l’accès des arbres restants aux ressources en eau et nutriments, limitant leur stress hydrique. L’amélioration du drainage, notamment dans les zones humides, peut également limiter la propagation des pathogènes. Les lisières forestières, zones particulièrement sensibles aux aléas climatiques, peuvent être aménagées avec des essences diversifiées pour renforcer la protection des massifs.Des forêts diversifiées sont naturellement plus résistantes aux attaques sanitaires. Elles abritent également une faune diversifiée – oiseaux, chauves-souris, insectes – qui participe à la régulation des populations de scolytes.

Séquestration du carbone : un double atout

Les forêts françaises, en bonne santé, capturent environ 15% des émissions de gaz à effet de serre de la France chaque année. Une gestion durable permet non seulement de conserver ces puits de carbone, mais aussi de produire du bois destiné à remplacer des matériaux plus polluants.Des outils comme Rosewood, développé par le CNPF, aident à évaluer le potentiel carbone des itinéraires sylvicoles, et à intégrer ces données dans des démarches de compensation carbone.Détection précoce : le rôle essentiel des nouvelles technologiesLa lutte contre les problèmes sanitaires repose aussi avant tout sur une détection rapide des foyers infectés. C’est là qu’interviennent les outils de télédétection comme ceux proposés par Goodforest. Grâce à l’analyse d’images satellites, il est désormais possible de repérer à large échelle les premiers signes de dépérissement, même avant qu’ils ne soient visibles à l’œil nu.Cette technologie permet aux propriétaires et gestionnaires forestiers d’intervenir rapidement et précisément, notamment dans les zones reculées ou peu visitées.Parallèlement, les dispositifs d’observation traditionnels, comme ceux de Protection de la forêt suisse (WSS), collectent des données de terrain précieuses, garantissant un suivi sanitaire global.

Interventions rapides et ciblées

Lorsqu’une infestation de scolytes est repérée, chaque jour compte. Les arbres colonisés doivent être abattus dans des délais très courts. Pour éviter la dissémination, les grumes doivent être évacuées rapidement, idéalement à plus de 5 km des massifs forestiers.Les résidus (branches, rémanents) doivent être broyés ou brûlés dans les semaines qui suivent. Ces mesures, bien qu’onéreuses, limitent les dégâts à long terme et s’inscrivent dans une démarche de gestion durable, respectueuse des critères d’Helsinki en vigueur en Europe.

Un levier économique

Agir rapidement face aux crises sanitaires représente un investissement rentable. Limiter les pertes, diversifier les essences et les débouchés permet de stabiliser les revenus des propriétaires forestiers et d’atténuer les fluctuations du marché du bois.Anticiper pour préserverFace à ces défis durables, une nouvelle sylviculture s’impose. Chaque acteur, du petit propriétaire au gestionnaire de massif, peut adopter des solutions adaptées, qu’il s’agisse d’outils numériques, d’essences diversifiées ou de pratiques sylvicoles actualisées.La formation continue, l’usage d’outils et méthodes proposés par le CNPF comme BioClimSol ou les technologies satellitaires de Goodforest offrent des leviers concrets pour une gestion plus résiliente.

Ensemble, anticipons aujourd’hui pour protéger les forêts françaises de demain.

Xavier LOUCHART, Responsable scientifique Goodforest

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