June 23, 2025

Gestion des scolytes : surveillance, lutte durable et valorisation du bois

En 2024, la crise des scolytes a bouleversé la gestion forestière française : plus de 37 millions de m³ de bois de crise ont été récoltés depuis 2018 dans le quart Nord-Est du pays, affectant 110 000 hectares de peuplements d’épicéas et de sapins. Face à cette menace amplifiée par le changement climatique, la gestion des scolytes est devenue un enjeu majeur pour les professionnels du bois, les coopératives forestières et les gestionnaires de forêts. Comment détecter précocement les infestations ? Quelles méthodes de lutte et de prévention privilégier pour limiter l’impact sur la biodiversité forestière et la valorisation carbone ? Cet article propose un panorama des solutions concrètes, des innovations en surveillance insectes forestiers et des stratégies collaboratives pour une lutte contre scolytes efficace et durable.

Contexte et enjeux : la crise scolytes en France

Dépérissement des épicéas et crise économique

Depuis 2018, la prolifération des scolytes, favorisée par des épisodes répétés de sécheresse et de canicules, a provoqué un dépérissement massif des épicéas et sapins, particulièrement dans le Grand Est, la Bourgogne-Franche-Comté et l’Auvergne Rhône-Alpes. Les arbres attaqués, reconnaissables à leurs aiguilles brunissant puis tombant, sont condamnés par les galeries creusées sous l’écorce où les scolytes pondent leurs œufs. Cette crise a entraîné une chute spectaculaire de la valeur du bois, passant de la centaine d’euros à quelques dizaines d’euros le m³ pour le bois infesté d’après l’ONF, saturant le marché et déstabilisant la filière bois locale.

Impact du changement climatique sur la gestion scolytes

Le changement climatique accentue la vulnérabilité des forêts résineuses : des printemps et étés plus chauds et secs affaiblissent les arbres, rendant les peuplements homogènes d’épicéas particulièrement sensibles aux attaques de scolytes. Les épisodes d’infestation massive réduisent temporairement la capacité des forêts à stocker le carbone à l’échelle régionale, transformant parfois ces puits en sources d’émissions. Cette situation souligne l’urgence d’adapter la sylviculture et d’intégrer la résilience climatique dans la gestion des risques sanitaires des forêts publiques et privées.

Témoignage de terrain : la réalité des coopératives forestières

Dans le Grand Est, Édouard Jacomet, adjoint au directeur territorial de l’ONF, témoigne : « A elle seule, l’essence épicéa représente à peu près deux tiers des volumes récoltés en bois dépérissant . Les épicéas scolytés sont déclassés par les scieurs, notamment suite au développement d’un champignon qui accompagne les scolytes et qui vient bleuir le bois. Les coopératives forestières, en première ligne, doivent non seulement organiser la coupe et l’évacuation rapide des bois infestés, mais aussi trouver des débouchés pour le bois bleu, tout en accompagnant les propriétaires dans la gestion de crise et la reconstitution des peuplements.

Solutions innovantes pour la lutte contre scolytes

Détection précoce et surveillance insectes forestiers

La clé pour limiter la propagation des scolytes réside dans la détection précoce des arbres infestés. Les méthodes traditionnelles d’observation de terrain sont désormais complétées par des outils innovants :

  • Télédétection et drones : L’utilisation d’images satellites (Sentinel-2, Spot 6-7) et de drones permet d’identifier rapidement les foyers d’infestation sur de vastes surfaces, grâce à des indices de végétation sensibles au stress hydrique et aux anomalies sanitaires. Ces technologies permettent d’adopter une approche réactive en détectant de manière précoce les dépérissements et d’orienter les professionnels sur les zones les plus critiques.

  • Piégeage aux phéromones : Des réseaux de pièges installés en forêt permettent de surveiller l’évolution des populations de scolytes et d’étudier les courbes de vol en fonction des températures, contribuant à la prévention des infestations de scolytes. Cette technique, éprouvée, permet d’ajuster les stratégies d’intervention en temps réel.

Gestion active : coupes sanitaires, écorçage et sylviculture adaptative

  • Coupes sanitaires et écorçage : Dès la détection d’arbres infestés, la coupe rapide et l’évacuation hors forêt sont indispensables pour éviter la dissémination. L’écorçage, désormais encouragé par des aides financières nationales, permet de détruire les larves sous l’écorce et de limiter la reproduction. L’acquisition de kits d’écorçage adaptés est soutenue à hauteur de 65 % du coût d’investissement par l’État depuis 2024.

  • Diversification des essences : La monoculture d’épicéas a montré ses limites face aux crises sanitaires. Intégrer des essences plus résistantes et adaptées localement, comme le douglas ou le hêtre, renforce la résilience des forêts et limite l’ampleur des futures épidémies. La diversification des essences forestières est désormais un axe majeur de la sylviculture adaptative scolytes.

Lutte biologique et solutions durables

  • Lutte biologique : Des recherches sont menées sur l’utilisation de champignons entomopathogènes (ex. Beauveria bassiana) et de prédateurs naturels comme le clairon des fourmis (Thanasimus formicarius) pour réguler les populations de scolytes, en complément des méthodes mécaniques et chimiques, ces dernières étant strictement encadrées pour limiter leur impact environnemental.

  • Valorisation du bois scolyté : Malgré sa coloration bleue, le bois scolyté conserve des propriétés mécaniques suffisantes pour la construction s’il est récolté à temps. Encourager son utilisation dans les marchés publics et la construction durable contribue à la valorisation carbone, à la réduction des pertes économiques et à la création d’une chaîne de valeur locale compétitive.

Dimension collaborative : réussir la gestion scolytes ensemble

Approche écosystémique et implication des acteurs

La lutte contre les scolytes ne peut être efficace qu’à travers une mobilisation collective des gestionnaires publics (ONF, CNPF), des coopératives forestières, des entreprises du bois, des collectivités et des propriétaires privés. Le Plan national d’actions « scolytes et bois de crise » lancé en 2024 structure cette collaboration autour de la mutualisation des données, du partage des bonnes pratiques et de l’organisation de cellules de crise territoriales.

Exemple de réussite collaborative

Dans le massif jurassien, une étude conjointe entre le DSF et l’université libre de Bruxelles a permis de mesurer l’impact des prédateurs naturels sur la régulation des scolytes, illustrant la puissance des partenariats scientifiques et opérationnels. 

Perspectives et recommandations pour une gestion durable

Tendances futures : adaptation et résilience

L’intensification des épisodes climatiques extrêmes impose une adaptation continue des pratiques sylvicoles. Les tendances majeures incluent :

  • L’essor des outils numériques (satellites, drones, SIG, intelligence artificielle) pour la détection et la cartographie en temps réel des foyers d’infestation.

  • Le développement de la sylviculture adaptative, misant sur la diversification des essences et la gestion différenciée des peuplements pour renforcer la résilience écosystémique.

Recommandations pratiques pour les professionnels

  • Mettre en place un réseau de détection et de surveillance, en s’appuyant sur les outils collaboratifs et les plateformes de télédétection.

  • Prioriser l’évacuation rapide et l’écorçage des arbres infestés, en sollicitant les aides financières dédiées.

  • Diversifier les essences lors des reboisements et favoriser les peuplements mixtes pour limiter la vulnérabilité future.

  • Valoriser le bois scolyté dans la construction et l’aménagement, en sensibilisant les clients et les donneurs d’ordre à ses qualités et à son rôle dans la réduction de l’empreinte carbone.

  • S’engager dans des démarches collaboratives et de formation continue pour anticiper et gérer collectivement les crises sanitaires.

Conclusion

La gestion des scolytes s’impose aujourd’hui comme un défi central pour la filière forêt-bois. Face à l’intensification des crises sanitaires, la combinaison d’une surveillance innovante, d’une lutte active et d’une valorisation intelligente du bois scolyté ouvre la voie à des solutions durables et résilientes. La réussite de cette transition repose sur l’engagement collectif, la montée en compétence des acteurs et l’intégration des outils numériques et collaboratifs. 

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