December 12, 2025

Nématode du pin et gestion durable : comment protéger les forêts de la Nouvelle-Aquitaine

Une menace qui s'accélère

Le 3 novembre 2025, l'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) confirme une détection historique : le nématode du pin (Bursaphelenchus xylophilus) arrive en France, détecté pour la première fois dans un peuplement de pins maritimes de Seignosse, dans les Landes. Ce ver microscopique ravageur n'est pas nouveau. Depuis 1999, le Portugal lutte contre ses conséquences dévastatrices : plus de 4 millions d'arbres abattus pour tenter de contenir la propagation. L'Espagne est affectée par les dégâts depuis 2008. Mais la Nouvelle-Aquitaine, jusqu'à présent épargnée, fait face à une réalité nouvelle.

Le nématode du pin n'est pas qu'un problème sanitaire isolé. Son arrivée en France remet en question l'équilibre entre protection phytosanitaire et préservation du potentiel de séquestration carbone de nos forêts. C'est aussi un enjeu de biodiversité des forêts landaises, et plus généralement de toutes nos forêts,  et de résilience des écosystèmes forestiers que nous avons commencé à construire.

1. Diagnostic : Comprendre la propagation du nématode du pin du Portugal en Nouvelle-Aquitaine

État des lieux chiffré (2024-2025)

Les données convergentes des institutions françaises brossent un tableau à la fois préoccupant et instructif. Selon le Ministère de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, le foyer détecté en novembre 2025 dans la commune de Seignosse (Landes) a immédiatement déclenché des mesures drastiques : une zone infestée de 500 m autour des pins détectés positifs au nématode, une zone tampon de 20 km autour de la zone infestée couvrant 46 communes. À titre de comparaison, le Portugal a dû appliquer des mesures de cette ampleur sur des milliers de kilomètres carrés.

La situation est d’autant plus critique que l'insecte vecteur, le coléoptère Monochamus galloprovincialis, est déjà établi dans toutes les régions de France hexagonale. Selon les travaux publiés dans une expertise de l’INRAE (2025), cet insecte ne demande plus à être introduit—il y est. Après l’inoculation de nématodes par le coléoptère sur des pins, la circulation de la sève est rapidement bloquée, tuant ainsi les pins en 30 à 50 jours. Pas de délai de grâce, pas de phase latente qui permettrait d'identifier discrètement les arbres contaminés avant qu'ils ne rougissent.

Pourquoi la propagation s'accélère-t-elle précisément maintenant ? Trois facteurs structurels peuvent expliquer cette trajectoire : d'abord, le réchauffement climatique favorise l'expansion du vecteur insecte (Tassus et al., 2025). Ensuite, les routes de commerce de bois et d'emballages (palettes notamment) connectent directement les zones à risque portugaises et espagnoles aux ports français. Enfin, la Nouvelle-Aquitaine concentre les conditions parfaites pour l'établissement du nématode : massifs de pins maritimes, vecteur localement abondant, proximité géographique des foyers espagnols et portugais.

Le cas concret des Landes : quand le diagnostic devient réalité

Pour saisir l'impact concret de cette menace, considérez le massif landais. Planté massivement au XIXe siècle pour ses propriétés de soutènement des sols, ce massif produit aujourd'hui l'un des gisements de carbone forestier les plus précieux de France. Les pins maritimes y séquestrent le carbone de manière continue, constituant de véritables puits de carbone forestier qu'une gestion raisonnée des risques phytosanitaires doit préserver.

Une infestation massive changerait radicalement cette équation. Non seulement les arbres morts cesseraient de fixer le carbone, mais leur dégradation accélérée (dépérissement en quelques semaines) libérerait le carbone séquestré, un double coup porté à l'efficacité environnementale de ces forêts. Par ailleurs, la disparition massive de pins affecterait irrémédiablement la biodiversité des forêts atlantiques et méditerranéennes : espèces spécialisées sur le pin, architectes paysagers des corridors écologiques, tous s'effondreraient.

Et au plan économique ? La filière bois représente 30 000 emplois en région. Un scénario d'éradication massive (comme au Portugal) impliquerait  des abattages obligatoires, des restrictions de transport de bois, une réorganisation complète des chaînes d'approvisionnement. C'est cette convergence—menace environnementale, enjeu carbone, vulnérabilité économique—qu’une stratégie de gestion durable doit affronter.

Dune du Pilat et forêt de pins maritimes

2. Solutions : Quelques réponses opérationnelles pour une gestion durable des forêts face au nématode du pin

Surveillance renforcée et télédétection forestière

La détection précoce est un premier rempart : ne pas attendre que les pins rougissent. Ici se dessine une transformation majeure de la pratique gestionnaire.

Fonctionnement et principes : La surveillance renforcée se fait à  trois niveaux. D'abord, le suivi épidémiologique des ravageurs classiques grâce aux observateurs locaux signalant les arbres dépérissants via les outils numériques de suivi forestier (notamment les formulaires en ligne mis en place par la DRAAF Nouvelle-Aquitaine depuis novembre 2025). Ensuite, la surveillance entomologique : pièges à coléoptères Monochamus galloprovincialis positionnés stratégiquement pour tracker les populations de vecteurs dans le temps. Enfin, et c'est la nouveauté, la télédétection forestière via imagerie aérienne et satellite, associée à l'intelligence artificielle forestière pour identifier les parcelles à risque avant même l'apparition visible des symptômes.

Résultats mesurés : Selon les travaux du FCBA (Institut Technologique), des tests de détection par colorimétrie de l'ADN du nématode (technologie LAMP) permettent désormais d'identifier le pathogène en seulement 1 heure de laboratoire. Plus rapide que les méthodes classiques, cette approche offre une réactivité nouvelle. En parallèle, l'INRAE à travers sa plateforme EMERGREEN (plateforme de serres et laboratoires confinés pour l’étude des agents phytopathogènes de quarantaine, à dispersion aérienne et /ou vectés) développe des marqueurs moléculaires pour tracer l'origine des populations, essentiel pour comprendre les flux de contamination.

La télédétection aérienne et satellitaire, lorsqu'elle est correctement implémentée avec l'intelligence artificielle, offre un gain indéniable en couverture spatiale et en réactivité—permettant d'identifier les foyers avant leur visible progression—mais elle doit s'accompagner d'une validation terrain et d'une capacité d'intervention rapide. L'écart temporal entre la détection et la mise en œuvre des mesures d'urgence reste donc l'enjeu critique : quelques semaines de délai peuvent suffire au nématode pour progresser significativement, d'où l'importance d'une chaîne de commandement décisionnelle fluide et préalablement définie.

Sylviculture adaptative et sélection de variétés résistantes

Tandis que la surveillance permet de diagnostiquer et contenir les zones infestées, la sylviculture adaptative change la vulnérabilité elle-même.

Principes et avancées : L’INRAE travaille actuellement sur l'évaluation de variétés de pins maritimes présentant une meilleure résistance au nématode. Des provenances différentes—populations du massif landais, variétés de Maroc, Espagne, Portugal, Corse, et même hybrides—sont testées en confinement depuis fin 2024. Les résultats préliminaires montrent que certaines familles de pins offrent effectivement une plus grande résilience. Le Japon et l'Espagne ont déjà identifié des gains génétiques significatifs. Cela demande du temps (les tests de sensibilité/résistance sont longs), mais cette piste est crédible.

Intérêts : Cette approche complète la surveillance. Tandis que la surveillance ralentit la dissémination, la sélection de variétés plus résilientes réduit la susceptibilité structurale des massifs forestiers. Une forêt composée de lignées plus robustes résiste mieux, même en cas de détection tardive. En parallèle, cette adaptation augmente l'écosystème forestier résilient : en diversifiant génétiquement les peuplements, on crée aussi une plus grande stabilité écologique face aux changements climatiques.

Coopération transfrontalière et gestion raisonnée des risques phytosanitaires

C'est le système complet. Ni surveillance ni sélection seule ne suffisent. Elles doivent s'articuler via un cadre de coordination collective.

Articulation globale : La coopération transfrontalière sylvicole fonctionne sur trois axes. D'abord, l'échange de données : Portugal et Espagne partagent chaque année leurs résultats de monitoring, permettant aux responsables français de prévoir où la propagation progressera vraisemblablement. Ensuite, l'harmonisation réglementaire : la zone réglementée de 20 km définie autour de Seignosse doit être cohérente avec les protocoles espagnols pour éviter que le bois contaminé circule en contournant les barrières. Enfin, la mutualisation des compétences : les équipes du FCBA et de l'INRAE côtoient leurs homologues ibériques pour adapter, sans réinventer, et accélérer, sans répéter les erreurs.

3. Tendance et prospective

Les technologies de télédétection et d'intelligence artificielle se déploient rapidement. Au-delà du nématode, ces outils) font évoluer les pratiques des gestionnaires car ils permettent une surveillance continue, une détection précoce et automatisée, et une prévision des risques. 

Enfin, le lien climat-phytosanitaire devrait s'amplifier. Le réchauffement crée des conditions favorables au vecteur de parasites et à leur propagation. Une véritable gestion durable doit intégrer cet enjeu : adapter les essences, diversifier génétiquement, accepter que la forêt du XXIe siècle ne sera pas celle du XXe.

4. Boucler sur la problématique

Nous avons posé cette question au seuil : comment adapter votre approche de gestion durable face à l'arrivée du nématode du pin en France ? Voici la réponse articulée que l'ensemble de ce chemin propose.

D'abord, accepter la réalité du diagnostic : le nématode est arrivé. Les pins landais sont en première ligne. Mais c'est précisément parce que vous comprenez l'enjeu carbone et écologique que vous êtes en position d'agir.

Ensuite, mettre en œuvre les solutions en système : surveillance renforcée et détection précoce, variétés résistantes réduisant la vulnérabilité structurale et coopération transfrontalière assurant la cohérence collective.

Enfin, opérationnaliser progressivement. Le succès portugais tardif montre que même quand le foyer s'étend, des mesures intelligentes ralentissent et contiennent.

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